3 questions à... Catherine Jacquot et Jean-Michel Daquin

31 jan 20243 questions à

A l'occasion de l'événement "Quelle société demain ?" organisé le 9 janvier 2024 au sein de la Chapelle des Récollets, Catherine Jacquot, architecte et ancienne présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, et Jean-Michel Daquin, architecte et ancien président du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Ile-de-France, se sont exprimés sur la place et l'apport de l'architecture dans notre société.

En quoi l’urbanisme et l’architecture ont-ils été le témoin ou le catalyseur des crises présentes ?

Catherine Jacquot : Les architectes et les urbanistes sont des acteurs, des témoins et des catalyseurs des crises existantes. Nous avons une responsabilité importante pour accompagner et guider cette évolution absolument nécessaire. Moins consommer, construire avec l’existant, réhabiliter est la première des choses. Nous sommes confrontés par ailleurs à une crise du logement et à une hausse du mal-logement. Les inégalités sociales très présentes s’accroissent. Ces deux injonctions, consommer moins et loger plus, peuvent paraître paradoxales. En tant que professionnels, on voit que tant les élus que les citoyens sont prisonniers de ces injonctions. Ainsi, il faut porter une attention très fine à la croisée de ces problèmes, l’un social et l’autre écologique.

Jean-Michel Daquin : Les faits exprimés dans le débat, IA, crise climatique … nous alertent fortement. Les architectes ont pour capacité de voir les choses en perspective tout en étant partie prenante comme citoyen. Je m’interroge aujourd’hui sur la façon dont on aménage le territoire par rapport à ce que nous avons fait par le passé. Si on considère par exemple les projets de renouvellement urbain : il a été décidé qu’il fallait démolir des bâtiments souvent parce qu’il n’existait pas à ce moment de financements ou de politiques dédiés à la réhabilitation. Tous les dossiers ANRU s’inscrivaient dans cette perspective du « 1 pour 1 » : un bâtiment démoli pour un bâtiment reconstruit. Ce faisant, on n’a pas profité de toute l’intelligence que pouvaient apporter tout un tas d’acteurs, dont les architectes, pour essayer de rénover à grande échelle et de procéder à des restructurations lourdes, avec tout ce que cela pouvait impliquer. Nous avons tous contribué à cette situation. Les architectes ne sont pas des professionnels comme les autres : ce sont des acteurs de l’acte de construire et d’aménager qui se doivent d’avoir un regard critique sur la situation. Regardons ce qui a été fait, constatons que nous n’avons pas été parfaits, pour désormais aller dans le sens de la réparation indispensable.

 

Dès 2016, en tant que président du CROAIF (2013-2017), lors d’un événement éponyme, vous aviez souligné que votre métier était « en révolution ». Huit ans après, quelle peut être la nouvelle posture de l’architecte selon vous ?

Jean-Michel Daquin : L’évolution des technologies, notamment autour de l’intelligence artificielle aujourd’hui, est quelque chose de très impressionnant. Nous sommes à un moment de bascule qui ne tient pas qu’à l’évolution des technologies, mais aussi à des questions inédites qui se posent sur les nouvelles façons d’aménager les territoires, d’habiter, de travailler… et aux enjeux de bien-être qui y sont associés. Tous ces sujets tendent à conférer à l’architecte une position propice dans la prise en compte de la révolution des outils, ainsi que de la révolution sociale et sociétale.

Sur la question que tous les architectes se posent : le métier va-t-il demeurer un acte créatif ou pas ? Oui, plus que jamais. L’architecte exécute un acte culturel, qui puise sa matière dans toutes ces mutations. Pour « réoxygéner les imaginaires » comme évoqué dans le débat, l’architecte a une place très importante, par rapport aux espaces qu’il conçoit, et pour se saisir de cet imaginaire, pour le révéler. L’architecte a donc toute sa place dans la façon dont on va concevoir, consommer et partager les territoires différemment.

 

Comme présidente du Conseil national de l’Ordre (2013-2017), vous n’avez cessé de sensibiliser la profession à un élargissement de son champ d’intervention pour faire face à ces enjeux. Quelle peut être la posture des architectes aujourd’hui ?

Catherine Jacquot : Il faut vraiment transformer les modes de pensée, les inverser. Ce qui veut dire s’interroger sur le sens même des mots. Si l’on considère par exemple le terme de « société », son sens est restreint, comme le sont ceux de « nature » ou de « culture ». L’architecture s’inscrit dans un monde où existe une interdépendance entre tous les éléments vivants ou non d’un territoire. Une conséquence très importante pour les architectes, c’est de dire que l’espace existant précède la fonction : c’est une véritable inversion du mode de pensée. Notre pays dispose d’une richesse d’équipements considérable ; nous avons donc une matière, un patrimoine, sur lequel travailler. Désormais, les choses sont inversées pour la filière des acteurs de l’acte de bâtir : il faut d’abord regarder ce qu’il y a, ce qui existe, puis élaborer un programme en fonction d’un diagnostic plurimodal.

L’architecture est évidemment un élément de la société, elle est l’environnement de l’architecture, mais que serait la culture architecturale si elle ne tenait pas également compte du sol, de l’eau, des éléments naturels et des autres êtres vivants ? Bruno Latour disait qu’il n’y a pas de dehors, que tout est dedans. À ce titre, on doit s’attacher à maintenir dans ce dedans un équilibre, bien qu’encore fragile aujourd’hui, et travailler pour continuer à habiter sans détruire. C’est ce nouveau récit d’habiter sans détruire qui prend aujourd’hui tout son sens.

 

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